Les huiles essentielles

à la conquête de la cuisine

par Christine Blouin

Il y a fort à parier que si on vous parle d’huile essentielle, la première image qui vous viendra à l’esprit ressemblera davantage à un massage qu' à un bain à la lueur de chandelles plutôt qu’à la cuisine de votre restaurant. C’est pourtant tout droit vers vos chaudrons que se dirigent ces huiles aromatiques grâce en grande partie aux rêves et au travail patient de l’herboriste Lucie Mainguy, propriétaire de l’entreprise Aliksir, et de son compagnon Pierre Boivin. Après un an de tests auprès de cuisiniers et du grand public, les deux complices lançaient officiellement fin août 2008 Les Arômes de Saba, une gamme de produits comprenant une cinquantaine d’arômes à base d’huiles essentielles spécialement calibrés pour la cuisine ainsi que des hydrolats, ou eaux florales.

L’utilisation des huiles essentielles en alimentation n’est certes pas nouvelle. Des entreprises industrielles emploient ces arômes depuis des décennies dans les préparations alimentaires les plus variées. Ce qui est nouveau avec les Arômes de Saba par rapport aux huiles essentielles pures, c’est qu’au lieu d’avoir affaire à une huile hautement concentrée, on a en main un produit prêt à utiliser, qui offre à peu près le même pouvoir aromatisant que les épices et herbes fraîches. Avec ces huiles, on n’a pas à se préoccuper des risques pour la santé liés à la manipulation des produits purs, comme des dommages à la peau, notamment. Enfin, tout comme les huiles essentielles pures, le produit possède la propriété de se fondre discrètement dans n’importe quelle préparation sans en altérer la couleur et souvent sans en influencer la texture. En prime, plusieurs huiles essentielles ont un arôme qui se rapproche étonnamment de celui des produits frais.

Pierre Boivin et la mallette qui contient ses précieux trésors aromatiques.

Des trésors du patrimoine aromatique du Québec

Les Arômes de Saba sortent également des sentiers battus en proposant une dizaine d’arômes typiquement québécois dont le peuplier baumier, la verge d’or, le myrique baumier et la comptonie voyageuse. « On peut dire que Lucie, avec sa curiosité intellectuelle, a fait des expériences avec des plantes que personne n’avait distillé avant », affirme Pierre Boivin, responsable du marketing et du développement des produits alimentaires chez Aliksir. Ce dernier croit que ces huiles, qu’il qualifie de « trésors de notre patrimoine aromatique », pourraient aider les cuisiniers et pâtissiers d’ici à mieux définir l’identité culinaire québécoise.

Qu’est-ce qu’une huile essentielle ?
Bien qu’on les appelle huiles, les huiles essentielles pures ne contiennent pas de gras. En fait, ce sont les essences naturelles de différents végétaux. On les obtient en distillant à la vapeur d’eau les végétaux (branches, graines, fleurs, feuilles, écorce ou racines).

Qu’est-ce qu’un hydrolat ?
Si le mot hydrolat peut faire un peu peur au premier abord, il ne représente rien d’autre qu’une eau parfumée, ou une eau florale, qui se forme lors de la distillation de l’huile essentielle. L’hydrolat capturant moins d’arôme que l’huile essentielle, il faut en utiliser en beaucoup plus grande quantité pour arriver à aromatiser autant. « L’hydrolat a l’avantage de se diluer dans les liquides comme les jus », indique Pierre Boivin. Par exemple, pour aromatiser une tasse d’eau, de jus ou une infusion, on utilisera une cuillère à thé alors que les arômes en huile s’utilisent à raison de quelques gouttes.

Une technique pour parfumer les plats

On vous a peut-être déjà offert, dans le rayon des parfums d’un grand magasin, une petite bandelette de carton nommée mouillette sur lequel un échantillon de parfum venait d’être vaporisé. Aliksir s’est inspiré de la parfumerie traditionnelle pour créer la parfumerie alimentaire, un système qui aide à aromatiser les plats sans gaspillage. En effet, plutôt que de faire des essais en ajoutant directement l’arôme à une préparation, le cuisinier peut en mettre une goutte sur la mouillette et l’agiter au-dessus d’un chaudron tout en humant le résultat. La méthode permet de réduire la quantité de préparation gaspillée et de comparer plusieurs combinaisons sans avoir à recommencer encore et encore le mélange.

Comment tester le parfum d’un plat avec les Arômes de Saba

Photos : Karine Marcoux

1. Verser une goutte d’arôme sur une mouillette
2. Placer la mouillette au-dessus du chaudron en agitant l’air pour bien mélanger les arômes
3. Une fois qu’on a trouvé l’arôme qui convient, assaisonner avec 1 à 5 gouttes d’arôme.

Important :

 Le produit n’est pas soluble dans l’eau, il faut idéalement l’ajouter à un corps gras avant de le mêler à une préparation
 Attendre à la fin de la cuisson avant d’ajouter le produit, car l’arôme s’évapore rapidement à la chaleur.

Le produit testé par un chef cuisinier

Christian Lemelin, chef et copropriétaire du restaurant Toast !, de Québec, a été l’un des premiers cuisiniers à tester les Arômes de Saba... et il est devenu accro ! « Pierre Boivin m’avait prêté une valise [contenant la gamme des arômes], raconte le chef. Il m’avait dit : “Utilise-la, sers-toi dedans et vois ce que tu peux faire avec ça.” J’aimais bien ça, j’en avais pris l’habitude et, quand M. Boivin a voulu la récupérer, je ne voulais plus la lui redonner. J’ai fini par m’en acheter une ! » Et depuis, il ne se passe pas un jour sans qu’il l’utilise. « Quand j’ouvre ma valise, c’est comme si j’allais dans mon jardin. » L’arrivée des arômes dans la cuisine n’a toutefois pas chassé les herbes fraîches ; le chef les utilise en complémentarité. Christian Lemelin trouve beaucoup d’intérêt à utiliser les produits d’Aliksir. « Il n’y a pas de perte, on perd moins de temps et il y a moins de gaspillage d’emballage », déclare-t-il. Il aime utiliser le produit dans des recettes où les herbes et épices pourraient nuire à la texture du produit, comme dans des pâtes alimentaires : « Par exemple, je fais des agnolottis dont la pâte contient de l’huile essentielle de muscade. L’arôme est puissant sans dérégler ma recette ». Le chef est tellement épaté par les possibilités offertes par le produit qu’il prévoit mettre à la carte du Toast ! un menu gastronomique où Aliksir sera en vedette.

On peut voir ci-dessus Pierre Boivin, responsable du marketing et du développement des produits alimentaires chez Aliksir, et Lucie Mainguy, présidente,directrice générale et cofondatrice de l’entreprise, en compagnie de Micheline Matte, cuisinière au restaurant Les saveurs d’Aliksir.

Photo : Karine Marcoux

Y a-t-il des risques à utiliser les arômes à base d’huiles essentielles comme les Arômes de Saba ?
« Se servir des Arômes de Saba est aussi dangereux que d’utiliser des herbes séchées », déclare Pierre Boivin. Celui-ci précise : « Une goutte d’Arômes de Saba à l’estragon, c’est l’équivalent de se servir d’herbes fraîches. À cette concentration, on ne peut pas considérer qu’il s’agit d’huiles essentielles, ce sont des aromates culinaires. »

Un restaurant voué aux huiles essentielles

Les arômes à base de plantes typiquement québécoises pourraient aider à mieux définir l’identité culinaire québécoise. -Pierre Boivin-

S’il est vrai que plusieurs chefs de restaurants haut de gamme ont démontré un grand intérêt pour les Arômes de Saba, Lucie Mainguy et Pierre Boivin s’efforcent de démontrer que les applications de leurs produits sont illimitées et que ceux-ci peuvent remplacer à bien des égards les épices fraîches et séchées. Aussi ont-ils ouvert à Grondines, dans le comté de Portneuf, un petit restaurant familial nommé Les Saveurs d’Aliksir. Celui-ci se spécialise dans les mets traditionnels québécois qui sont, bien sûr, assaisonnés aux huiles essentielles. Dans la cuisine, pas un pot d’épice traditionnel. C’est à peine si la cuisinière Micheline Matte garde du sel et du poivre. Ce n’est pas que l’huile essentielle de poivre n’existe pas.

Au contraire, Mme Matte s’en sert dans plusieurs préparations. Toutefois, cette huile, bien qu’elle possède les arômes de l’épice, ne présente pas le côté piquant qu’on recherche dans le poivre, nous expliquera-t-on. Lors de notre passage au restaurant, nous avons pu goûter notamment à un ragoût de pattes parfumé aux huiles de poivre noir, de poivre de la Jamaïque (ou « tout épice ») et de clou de girofle qui se situait dans la plus pure tradition de goût de la cuisine de nos grand-mères. Micheline Matte, qui utilise les huiles essentielles en cuisine depuis deux ans, est très enthousiaste quand vient le temps d’en parler : « Je n’aurais pas imaginé l’ampleur de la paix que ça peut mettre dans l’âme du cook. Ça prend moins de place que des gros bocaux d’épices. Pour la cuisine à grande échelle, c’est magique, ça sauve du temps. Pour faire du pesto, par exemple, à la place de prendre du basilic, je prends l’huile. » On pourrait aussi penser à l’huile de gingembre qui permet d’épargner du temps de préparation tout en donnant un arôme comparable à celui du gingembre frais. Ou encore aux arômes à l’huile essentielle d’orange ou de citron, qui peuvent remplacer les zestes de ces agrumes. Avec la cinquantaine d’arômes offerts, la seule limite aux usages possibles est votre imagination !

Combien ça coûte ?
Selon Pierre Boivin, Les arômes de Saba coûtent en moyenne 5 cents par goutte. Comme l’utilisation proposée sur l’étiquette du produit est de une à cinq gouttes par kilo, on peut dire qu’il en coûtera entre 0,05 $ et 0,25 $ par kilo. Les arômes les moins chers coûtent environ une quinzaine de dollars pour 15 ml, alors que le plus coûteux, celui à la comptonie voyageuse, se détaille à environ 50 $ du 15 ml.

Quelle est la durée de conservation des huiles essentielles ?
Les huiles essentielles pures ont en général une durée de vie très longue, qui varie d’un produit à l’autre mais qui peut se compter en termes d’années. Pour leur part, les huiles prédiluées comme Les Arômes de Saba auront une durée de vie plus courte, soit d’un an à un an et demi, à cause de la présence de l’huile végétale.

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